C'était au mois de décembre 1936 : Papy avait 6 ans et Mamie six mois à peine...Grand'mère Louise, tante Marie et cousine Francine lavaient leur linge à la mare de Beauregard.
« Pour Noël, annonça grand'mère, on tuera la vieille poule Caquette : elle fera un bon fricot et une bonne soupe
-Nous, on fera rôtir Cancane, l'avant dernière de nos oies.
-Et à Beauregard, ajouta cousine Francine, on profitera de la période de neige pour saigner Grognon, notre cochon qui fait de plus en plus de graisse ! Il fournira des rôtis, des pâtés et du boudin pour les fêtes de fin d'année. »
Horreur ! ...l'oie Cancane, cachée derrière les roseaux, avait tout entendu.
Alors, Cancane se précipita chez sa copine, Caquette pour la prévenir ; puis ils entrèrent dans la porcherie de la ferme :
« Cesse de te gaver, Grognon, tu es trop gras, on va te transformer en pâtés ! »
Grognon comprit ce qui allait lui arriver : il en perdit tout appétit.
Tous trois se concertèrent pour trouver un moyen d'éviter le four ou la casserole. D'un commun accord, ils décidèrent de fuir dès la nuit prochaine.
Mais où se réfugier ? Il y avait bien la Forêt de Tronçais, toute proche, avec ses nombreuses cachettes...mais où rôdaient, paraît-il, encore quelques loups. Tant pis, on avisera après ; et puis, chacun décida de se construire un abri capable de résister à la fureur de ces redoutables bêtes. « Rendez-vous à minuit devant le Pas de la Mule, conclut Cancane. »
Ainsi fut fait ; nos trois compères s'échappèrent de leurs écuries et se retrouvèrent à l'endroit convenu...Allons, en route pour la forêt !
Du rocher du Pas de la Mule, les trois amis décidèrent d'entrer dans le bois par le chemin de la Croix Pétouillon. Caquette n'était pas tellement d'accord sur ce choix : elle avait entendu dire que c'était le lieu de rendez-vous des Meneux de Loups... » C'est quoi, ça questionna Grognon ? ». On savait peu de choses ; tante Marie prétendait qu'il s'agissait de personnes capables de se faire obéir par les loups...
« Des histoires pas vraies, répliqua Cancane qui s'avérait la meilleure chef de bande. »
Il fallait prendre une décision : une maison pour les trois ?...chacun son abri ? « Je ne veux pas dormir avec Grognon, il sent horriblement mauvais, prévint Caquette, je vais me construire une petite cabane en feuilles – Oui, mais le renard ?...le loup ? -Pour moi, je bâtirai plus solide : une hutte de branchages saura résister aux assauts de ces méchantes bêtes ! » Grognon réfléchissait...des feuilles, des branches ne pourront jamais protéger des appétits de Renard, encore moins de Loup...il faut trouver autre chose ! (à suivre)
...Et le jour se leva...
Caquette, Cancane et Grognon, épuisés, avaient dormi d'un trait...
Heureusement, car la nuit avait été troublée par de nombreux bruits suspects, glapissements, hurlements...à moins qu'il s'agisse plus simplement des hululements de Dame Chouette, toujours prête à quelque farce nocturne ?
Grognon avait quand même beaucoup réfléchi avant de s'endormir : « Vous êtes des têtes sans cervelle, reprocha-t-il aux deux volailles...que deviendront vos feuillages et vos brindilles face à la fureur du loup ?...Nous avons besoin d'un solide abri ! »
« Alors, voici justement ce qu'il nous faut ! s'exclama Caquette qui venait de se jucher sur la cime d'un vieux frêne ; je vois une ancienne maison inhabitée, pas très loin d'ici. »
On y courut, on y pénétra sans méfiance...et on respira de curieuses odeurs de fricot !
« Un plumeau ! s'exclama Cancane, on dirait l'aile de ma pauvre sœur, disparue il y a quinze jours.
-Et là, dans cette cocotte, des cuisses de poulet en sauce, gémit Caquette.
-La tête de ma vieille mère Grogognette dans ce saloir...quelle misère ! »
Il fallut bien se rendre à l'évidence : on s'était réfugiés dans la Maison des Loups !
« Vite ! À la forêt !...il était déjà trop tard ! »
La porte venait de s'ouvrir avec fracas, découvrant M. et Mme Loup...à la fenêtre, grimaçaient deux louveteaux affamés.
Caquette et Grognon restèrent immobiles, pétrifiés par la peur ; seule Cancane, affolée s'était enfuie dans les charpentes.
La poule et le cochon se retrouvèrent ficelés en un clin d'œil. Madame louve mettait déjà à bouillir une casserole d'eau dans la grande cheminée ; les louveteaux s'empressaient à ouvrir le saloir, à affûter les couteaux.
Pendant ce temps, la cane avait retrouvé un peu de calme et décidé de ne pas abandonner ses deux amis ; elle parvint à se hisser sur le toit, puis vers la cheminée d'où lui parvinrent des bruits de cuisine peu rassurants. Alors qu'elle se penchait pour mieux entendre, elle perdit l'équilibre et glissa dans la cheminée...
En bas, tout était prêt pour le festin. M. Loup s'approchait de Grognon, le couteau à la main (pardon : à la patte !) afin de le saigner ; Caquette allait être ébouillantée et plumée...C'est alors qu'une horrible créature dégringola dans la pièce...un oiseau tout noir, cancanant de terreur, bousculant la marmite, faisant jaillir de toutes parts les braises du foyer !
Famille Loup n'avait jamais rien vu de semblable : des chasseurs, passe encore, mais un fantôme de canard, noir de suie (peut-être le vengeur masqué ?)...jamais !
Epouvantés, les quatre loups s'enfuirent...depuis ce temps, on n'en a pas revu en Forêt de Tronçais !
Quant aux trois fugitifs de Beauregard, c'est à vous d'imaginer la fin de leurs aventures...