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Braize dans la seconde guerre mondiale

Nous l’avions redoutée, nous l’avons vécue...sans les médias et, finalement, Papy se rend compte qu’il a conservé peu de souvenirs personnels précis de cette période sur laquelle il mélange allègrement lectures et vécu!

De 1938, je retiens Daladier, Munich, les affiches de mobilisations partielles en noir et blanc, apposées au pignon de l’actuelle maison Dollet, et où l’on craignait chaque jour de retrouver celle de la Mobilisation générale avec ses drapeaux tricolores.

Au printemps 1939, Braize avait accueilli un petit groupe de Républicains espagnols ; nous étions allés leur porter vêtements et nourriture. Ils séjournèrent quelque temps « aux Gravières » mais aucun ne s’installa définitivement dans la commune. Qui étaient ces réfugiés …pourquoi cette « Guerre d’Espagne » ? ...on avait d’autres soucis, surtout la Paix à tout prix...quant à Hitler ?

Et pourtant, la Guerre allait arriver : j’ai conservé une image très précise de ces instants. Nous jouions au chemin de fer avec des chaînes de bicyclette, censées représenter les rames de wagons, à l’ombre de deux noyers, près de la maison du Champ de balais ; il y avait là mes deux cousins, Louis Auclair en vacances avec sa famille et Raymond Vilpreux, voisin et compagnon de jeux de toujours. C’est alors que mon oncle Roger vint nous annoncer la Déclaration de guerre et l’ordre de Mobilisation générale ; il devait partir ainsi que mon père dès le lendemain matin 3 septembre 1939.

Ordre de mobilisation générale

Il y eut aussi la réquisition des chevaux, le difficile travail du grand-père, resté seul à la ferme, la « Drôle de Guerre » de Louis Martin, installé avec le P.C de son régiment du Génie dans un « Château viticole » à Corgoloin, quelques permissions des deux militaires…Je ne retiens vraiment que la difficulté à remplacer nos deux juments...il y eut même la tentative, vite abandonnée, de recourir à un attelage de bœufs.

Et soudainement, ce fut la débâcle, « l’Exode » imprévisibles : deux jours durant, nous vîmes passer, dans un désordre indescriptible, les colonnes de réfugiés mêlées aux débris de notre armée. Une compagnie stationna dans la commune, les cuisines « roulantes » s’installant dans la ferme qui abrite aujourd’hui le Musée de l’âne ; les voisins furent équipés en casseroles et autres instruments culinaires pour très longtemps (il en subsiste encore)...Mais nous passâmes une fort mauvaise nuit, dans la crainte de subir des bombardements suite à cette présence, civils et militaires traumatisés nous ayant rapporté les attaques des stukas, subies après le passage des ponts de Loire ! Un espoir revint quand une unité d’artillerie remonta à contre-courant des fuyards : quatre canons de 75 flambant neuf qui firent halte près de la même ferme et que je revois encore ...ont-ils participé à la canonnade des Ponts du Veurdre dont nous entendions les échos quelques jours après. De rares réfugiés furent accueillis dans la commune : une maman et ses deux filles originaires du Nord chez grand’mère Madeleine, un cheval ardennais à la ferme familiale !…Peut-être suis-je de mauvaise foi, mais les élans de solidarité ne m’ont pas marqué.

C’est peu pour le chapitre « Braize dans la guerre » mais on l’avait échappé belle : en vue de retarder l’avance ennemie, la gendarmerie avait demandé d’établir des barrages amovibles au Carrefour de Beauregard, au moyen de charrettes…M. le Maire était-il un sage…le conflit se termina-t-il trop vite... le barrage ne vit jamais le jour.

Après le découpage Zone occupée, Zone libre, Braize se trouva très provisoirement placé dans un couloir de circulation réglementée allant de Lurcy Lévis à Lételon…mais à l’ouest du département, la Ligne de Démarcation s’établit à une vingtaine de kilomètres au nord (sur le Canal de Berry, elle passait à l’écluse de La Chapelle Hugon)...au diable vauvert, pour notre plus grande tranquillité !

Mais Braize connut quand même:

...les restrictions Le rationnement avait été institué dès l’été 1940 et se poursuivit après la Libération : tickets de pain, de viande et charcuterie, de sucre, de tabac, de vin (à l’origine de la spectaculaire progression du vignoble braizois !) ...tickets de tout, carte de vêtements, demande de bicyclette !

En octobre 1944 : 300 à 350 grammes de pain par jour (selon âge et activité…se rappeler qu’à l’époque cette consommation était essentielle), 250 grammes de viande et 40 grammes de fromage par semaine,1250 grammes de sucre (catégorie E enfants) 750 grammes (J adolescents) 500 grammes (autres catégories) par mois,12 litres de vin mensuels.

Tickets de rationnement

...les réquisitions d’une importante partie des récoltes de la ferme, destinée aux troupes d’occupation ; un contrôleur assistait aux battages pour compter les sacs de grain…comptage élastique qui permettait d’aller faire moudre aux Rivaux, par les chemins détournés des Quatre vents. La même élasticité valait pour tous les autres produits et les conséquences du rationnement en furent largement limitées. Y eut-il du « Marché Noir » ... sans doute, mais pas à grande échelle : les habitants des villes voisines venaient régulièrement au ravitaillement…et acquittaient, disons une petite prime de risque supplémentaire!

...la propagande: il y eut des tas d’affiches à la gloire des uns , jetant l’opprobre contre les autres , mais c’est l’école qui m’a laissé le plus de souvenirs de Vichy... Après les scènes vécues de l’exode et les échos des combats au Pont du Veurdre, entendus depuis la cour de récréation, insouciants, nous avions retrouvé « nos grandes vacances »; en octobre, la rentrée allait nous apporter progressivement quelques nouveautés dans les programmes scolaires. C’est le moment où le gouvernement « de Vichy » déploie un énorme effort de propagande pour sacraliser « le sauveur du pays » et faire oublier le choix de la collaboration…Comme pour mes souvenirs de la guerre, je mélange encore ceux qui me sont personnels (et c’est mince) avec ceux de mes lectures ou des nouveaux médias ! Des modèles de dessins sur quadrillage nous parvenaient régulièrement : il y avait le bâton du maréchal, son képi, la francisque…des personnages historiques symboliques : Vercingétorix, Jeanne d’Arc surtout, qui avait su bouter les Anglais hors de France ! Un  goûter du maréchal  dut avoir lieu ? Chacun reçut aussi son portrait du maréchal…et on chanta, bien sûr le « Maréchal, nous voilà ! » ...Il y eut aussi « la Lettre au maréchal", à l’occasion de Noël 1940 ; on devait avoir le choix entre lettre et dessin, et je revois mon inoubliable portrait du maréchal en képi qui me valut la réponse personnalisée « Mon enfant, votre dessin m’a plu... »

L’année suivante fut celle des célébrations : Fête de Jeanne d’Arc, Fête des Mères, également instituée en mai 1941, avec, à la clef, une nouvelle « Lettre concours » à rédiger. En octobre, le maréchal Pétain s’adressa aux écoliers de France depuis l’école du village de Périgny, dans l’Allier.

Une partie des élèves se déplaça à Saint Bonnet pour voir passer le cortège du Maréchal lors du baptême du Chêne Pétain... les Chantiers de Jeunesse installés en Forêt de Tronçais entraînèrent quelques jeunes braizois dans d’éphémères activités de scoutisme. Mais ce n’est pas tout...nous connûmes aussi notre « Retour à la terre, car La Terre, elle, ne ment pas ! ». La Municipalité nous installa donc notre Jardin scolaire, dans le champ situé à gauche après le chemin de la Maison de l’âne : une grande allée centrale…des parcelles attribuées par équipes…des semis...des désherbages déplaisants…encore les grandes vacances...j’ignore s’il y eut des récoltes. D’autres écoles traquèrent le doryphore ou mieux, le hanneton (imaginez les envolées dans la classe !)

Nous ignorions alors que certains instituteurs, moins dociles, refusèrent ces dévotions, ce qui valut à quelques uns un « exil » au fin fond de la Montagne bourbonnaise

...le couvre-feu à la nuit tombée, les habitants devaient fermer les volets et occulter « les impostes » que l’on badigeonnait scrupuleusement de bleu.

Tickets de rationnement

...la censure

  • des journaux (dont on ne souffrit guère…on supposait bien que les nouvelles étaient contrôlées)
  • de la radio quand on eut enfin « le Poste de TSF »...et qu’on écouta (clandestinement !) la radio anglaise...mais, même à la ferme, loin de tout contrôle, ma mère éprouvait toujours cette vieille peur des gendarmes et répugnait à enfreindre l’interdiction.
  • du courrier (je me souviens des cartes « pré remplies » avec des mots à rayer et de minuscules vides pour l’écriture...)

...le Service du Travail Obligatoire en mai 1942, l’Allemagne décidait la réquisition de main d’œuvre civile dans les territoires occupés…Pierre Laval offrit alors d’étendre aux deux zones cet appel de travailleurs sous forme de volontariat avec, en compensation, la libération de prisonniers de guerre agriculteurs : ce fut « la Relève ». Mais le nombre de volontaires fut si restreint qu’en septembre 1942, le S.T.O fut institué pour les hommes de 21 à 50 ans et les femmes célibataires de 21 à 35 ans. A Braize, deux hommes prirent alors le maquis, un autre se réfugia dans son grenier jusqu’à des jours meilleurs…un déserteur du S.T.O, originaire d’une commune voisine et échappé des chantiers du Mur de l’Atlantique trouva refuge chez mes parents.

... les bombardements plus exactement, le spectacle d’un bombardement…la nuit du 15 au 16 septembre 1943, nous étions aux premières loges pour assister sans risque à l’attaque des Usines Dunlop à Montluçon : illuminations, tirs de D.C.A, explosion des bombes, chute d’avions…difficile de croire que ces événements se déroulaient à des dizaines de kilomètres ! Il y avait aussi le passage des forteresses volantes, bien organisées, très haut et en plein jour, celui des appareils anglais beaucoup plus bas qui nous réveillaient parfois…on ne courait pas aux abris !

... la réquisition des armes à feu que l’on devait remettre aux forces de l’Ordre, en Mairie…une baïonnette, vestige de l’exode à Beauregard, et qu’on voulut conserver en souvenir, fut cachée dans un arbre creux. Elle provoqua la perplexité de l’ouvrier agricole chargé plus tard de l’abattre et de débiter son tronc...

... et la Résistance ? on crut longtemps que la Forêt de Tronçais fourmillait de Maquisards Son étendue et surtout l’importante présence des camps des Chantiers de Jeunesse semblent avoir empêché jusqu’en juin 1944 toute implantation significative…y eut-il auparavant une autre forme de maquis moins glorieuse ?

Et puis vint la Libération !

Là encore, j’aimerais pouvoir associer mon village natal à quelque action héroïque...De même qu’on avait demandé d’édifier des barrages aux carrefours en juin 1940, « on » conseilla aux jeunes gens de la commune d’organiser des relais pour prévenir du repli des troupes occupantes. L’unique « relayeur » fut le réfractaire au S.T.O, posté au carrefour de Beauregard, arborant un brassard tricolore de notre confection et qui déguerpit à l’approche d’un motocycliste vert de gris, sans insigne ni distinction, visiblement perdu et peu rassuré qui s’enquérait vainement d’un itinéraire sûr. L’épisode qui nous toucha de plus près et auquel il me fut donné d’assister – de très loin- fut la Libération de Saint Amand, au soir du 6 juin 1944, avec l’attaque de La Milice locale…et la dure répression qui la suivit deux jours après...

Vaste étendue de la Forêt de Tronçais, crainte d’importants foyers de résistance…les troupes allemandes, lors de leur repli, empruntèrent régulièrement des itinéraires passant à l’ouest ou à l’est du massif forestier…et Braize restait toujours étrangement à l’écart du conflit ! Même les Fêtes de la Victoire ne m’ont pas laissé d’images d’allégresse…peut-être un bal fut-il organisé, qui n’avait plus rien de clandestin ?...Seul, le carillon des cloches de toutes les églises voisines, annonçant encore une fois la fin de la dernière guerre, me revient vraiment en mémoire.

... et voici le Souvenir de Guerre de Papy!

En 1944, Papy était élève au Cours complémentaire de St Amand, aujourd’hui Ecole Marceau près de la halle. Il était hébergé chez des cousins qui habitaient au 10 Rue Entre les Deux Villes, vers l’église.

Les responsables du maquis local, Groupe Surcouf, se réunissaient dans une maison qu’on peut encore voir au lieu dit « Le Raisiné », entre Coust et St Amand, propriété alors de Van Gaver…des armes parachutées étaient cachées au fond de la Carrière de Coust toujours visible...

Le mardi 6 juin, au matin, la radio nous avait avertis du débarquement sur les côtes normandes. Je travaillais à mes devoirs quand on entendit les coups de feu lors de l’attaque du siège de la Milice locale, situé près de la Place du Marché, à quelque 200 mètres de notre rue. Mon cousin sortit aux nouvelles et se précipita vers les toilettes de la cour dont il arracha les tuiles pour sortir deux fusils soustraits à la réquisition des armes. Hélas, le combat était déjà terminé ... Je l’accompagnai alors dans une reconnaissance du champ de bataille où ne restait que la trace du pauvre diable qui avait eu la mauvaise idée de passer par là avec sa bicyclette et sa bonbonne de vin...…le lendemain matin, nouveau périple dans St Amand libérée et joyeuse, avec le tonneau en perce devant l’Eglise des Carmes devenue Mairie…Mais on jugea préférable de me faire rentrer à Braize, ce qui m’évita de connaître le siège de la ville et la fuite de mon cousin vers des bases arrières à Ainay le Château.

Au lycée de St Amand, à la rentrée de 1947, j’eus comme camarades de classe les enfants (ou le neveu et la nièce…je ne me souviens plus) de l’un des otages juifs ensevelis dans les puits de Guéry... un autre élève fréquentant alors le lycée devait connaître, plus tard, une certaine renommée !


Jean-Jacques