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Les Chantiers de Jeunesse à Tronçais

Création des Chantiers de Jeunesse

Au début de juin 1940, environ 100 000 conscrits, âgés de 20 à 22 ans, étaient incorporés dans l'armée. Quinze jours plus tard, l'armistice faisait obligation de les démobiliser, sans travail et sans abri pour nombre d'entre eux. C'est le Général de la Porte du Theil qui fut chargé de proposer une solution pour regrouper et prendre en main ces hommes « dont le comportement commence à inquiéter le commandement. »


En vue de les accueillir provisoirement, la loi du 30 juillet 1940 les fit réunir pour six mois dans des camps où la journée se partageait entre un travail matériel approprié aux besoins de l'époque et des récréations sportives ou instructives.

Affiche et insigne des Chantiers de Jeunesse

L'expérience étant apparue satisfaisante, la loi du 18 janvier 1941 faisait des Chantiers de Jeunesse une institution permanente et obligatoire : tout jeune Français, âgé de 20 ans et physiquement apte devant y accomplir un stage de six mois « afin d'y acquérir le sens de l'ordre, le goût de l'effort et une formation virile ».

En zone non occupée, les Chantiers furent répartis parmi les régions rurales, à l'écart des villes afin d'y pratiquer dans la nature une pédagogie étendant à l'échelle de l'ensemble de la jeunesse les méthodes du scoutisme. La journée commençait invariablement par le lever des couleurs selon un cérémonial solennel, souvent suivi par une allocution.


            Tenue des Chantiers de Jeunesse

La tenue des jeunes : béret, blouson, culotte de golf, était de couleur vert-forestier ; pour les cadres : blouson gris et col à parement vert.
Les travaux consistaient en opérations de forestage, de carbonisation, de reboisement, de mise en culture, d'aménagement de routes, accompagnées d'exercices d'hygiène, d'entraînement, de rééducation, d'actions contre l'analphabétisme.


En août 1940, La Porte du Theil avait été nommé Commissaire Général des C.D.J . Ces Chantiers furent articulés en six régions dont cinq en Zone libre et une en Afrique du Nord ; chaque région devait comprendre une dizaine de Groupements de 2000 hommes chacun. Le Groupement est organe de commandement et administratif, responsable de la vie matérielle, de l'instruction et du moral. A son niveau, sont regroupés les différents services, les ateliers, les magasins et l'infirmerie hôpital. Les chefs de Groupements ont sous leurs ordres une dizaine de Groupes d'environ 200 hommes, Groupes articulés en dix équipes qui constituaient l'élément de base.

Les Chantiers de Jeunesse à Tronçais

Implantation des Chantiers de Jeunesse à Tronçais
Implantation des Chantiers de Jeunesse dans la forêt de Tronçais

Début août 1940, arrivait à Tronçais un détachement de 60 jeunes, premiers éléments du futur Groupement numéro 1 "Maréchal Pétain" qui comprendra environ 2600 jeunes gens rassemblés dans les forêts nord-ouest du département, sous la direction du Commissaire Furioux. Dans ses mémoires, le général de La Porte du Theil précise que pour des raisons toutes personnelles, il avait tenu à ce que le premier groupement de ses Chantiers de la Jeunesse soit installé en Forêt de Tronçais (G1 Maréchal Pétain), d’autre part, le Colonel Furioux qui fut l’un des tout premiers volontaires pour encadrer ces jeunes avait combattu sous les ordres de La Porte du Theil pendant la guerre de 1914-1918.

Le logement s'effectua d'abord sous la tente, puis se construisit un ensemble de 70 baraques, réparties dans un triangle allant du Veurdre à Urçay et Deneuille les Mines.

Quelques commentaires d’anciens des chantiers :
"...la presse de l’époque était censurée…au début, T.S.F et journaux sont interdits ...les jeunes avaient souvent froid et faim, sauf les groupes d’aide chez les paysans...à Tronçais, l’hiver 1940-41 a été rude sous la tente...le travail n’était pas la seule activité : demi-temps d’activités physique et sportive, manifestations culturelles, participation  à la vie locale (15 août , fête nocturne sur l’étang à St Bonnet Tronçais), chants patriotiques, morale, éducation civique ...une vie tout à fait nouvelle pour nous, mais que, bientôt, nous dûmes reconnaître comme très saine pour le corps et l’esprit, loin de la vie commune, au milieu de la belle nature dans cette splendide forêt..."
journée type : 6 heures : réveil, lever des couleurs, programme du jour -11 heures : rapport -après midi consacré aux travaux extérieurs (par exemple, pour le groupe Bonaparte aux Chamignoux, une équipe extrait de la pierre aux carrières de Thiolais, une autre équipe participe à la création de la « Ligne des Pêcheurs ») -18 heures : descente des couleurs -21 heures : appel -22 heures : extinction des feux…

Ses effectifs étaient repartis entre 11 Groupes ; le Poste de Commandement était installé à l'emplacement des anciennes Forges de Tronçais. (Quelques données chiffrées : 80 chevaux ou mulets, 30 véhicules automobiles, 100 bicyclettes, 8 infirmeries, 6 ambulances...).

Localisation des différents Groupes :

- G2 "Lyautey" au Camp Colbert à Tronçais, essentiellement Centre d'instruction des Chefs d’équipes.
- G3 "De Foucault", au Rond Gardien, connu notamment pour la « récupération et le camouflage » du stock de cuivre (voir plus loin).
- G4 "Jehanne d'Arc", spécialisé dans la production du charbon de bois, au Rond de la Cave, un détachement annexe en Forêt de Lespinasse.
- G5 "Vercingétorix", installé au bourg d'Urçay, chargé de la réception des nouveaux arrivants et de l’organisation des transports de matériel depuis la gare d’Urçay.

2600 hommes en Forêt de Tronçais semblaient un effectif trop important, les Groupes 6, 7, 8 et 9 furent déménagés dans le Cher (Forêt de Meillant essentiellement). Le P.C fut installé à Bruère-Allichamps et l’ensemble des quatre groupes deviendra le Groupement n°32 "Jacques Cœur" .

De nouveaux Groupes se créèrent :

- G6 "Galliéni", occupé surtout à des travaux de forestage au Rond du Chevreuil.
- G7 "Bayard", au Pic, hameau situé à l'est d'Urçay: même mission que le G5 et création de l’ancien stade d’Urçay.
- G8 "Faidherbe", aux Forges de Tronçais, le groupe « des sabotiers »...regroupe surtout les jeunes dont l’état de santé nécessite des soins. Le Foyer rural de Braize récupérera en 1948 le baraquement qui abritait l’infirmerie !
- G10 "Bonaparte", au Rond des Chamignoux : travaux agricoles et forestage, alphabétisation, préparation au Certificat d’études primaires, création de la « Ligne des Pêcheurs » près de l’Etang de Pirot...

Quelques baraquements furent également construits à Saint Bonnet, sur la place du Monument aux Morts.

        Chapelle Groupe 1

Groupe 6 Gallieni


Baraquements de Chantiers de Jeunesse

Camp Colbert


Les garçons de l'Allier étaient affectés dans d'autres départements, principalement dans les Groupes suivants :

- G 3 à Bourg en Bresse (01)
- G 4 à Cormatin (71)
- G 34 à Mézières en Brenne (36)
- G 5 et G 41 dans le Puy de Dôme

Bilan

Au 1er novembre 1943, le bilan de ce premier Groupement à Tronçais s'établissait ainsi :

  • utilisation de 77 000 m3 de matériaux routiers
  • plantation de 118 200 jeunes chênes
  • fabrication de 4856 tonnes de charbon de bois
  • prestation de 39 100 journées à l'agriculture
  • il possédait des ateliers de forge, d'ajustage, de menuiserie, d'électricité, de saboterie et cultivait un domaine de 53 hectares

Mentionnons également, en mars 1941, deux journées passées à renforcer la digue de l'Etang de Morat, suite à des pluies diluviennes.


Fours à charbon de bois


Contrairement à ce qu’on aurait pu croire (et les colonnes allemandes ne traverseront jamais ce massif forestier) il n’y eut pas d’implantation d’une Résistance organisée en Forêt de Tronçais avant l’été 1944, notamment en raison de la présence disséminée de ces différents Groupes des Chantiers de la Jeunesse. Le Maquis Michel ne s’y installera qu’en juin 1944.

Quelle fut leur participation aux actes de résistance : dès octobre 1940, plus de 100 membres du Groupe 3 aident au « camouflage » d'un stock de cuivre découvert dans le Cher ; en 1944, après les arrestations et changements dans la direction des Chantiers, certains s'engagèrent dans les maquis existants et participèrent à la libération d e St Amand, Sancoins, Bourges...et à la capitulation de la « Colonne Elster ».

Le commandant Roy qui avait succédé au colonel Furioux à la tête du Groupement Maréchal Pétain se vit confier le commandement d'un bataillon du 1er Régiment d'Infanterie (reconstitué avec les effectifs restants de l'ancien régiment d'armistice dont le PC était à St Amand-Montrond et des cadres et des jeunes de Tronçais)... Ce Bataillon Roy reçut le renfort d'une partie du Groupement 39 de Montmarault (100 km à pied vers le Cher-Sud) sous les ordres du lieutenant Coat; cet officier fut tué à Jariolle le 3 septembre 1944 (Jariolle situé entre St Amand et Levet où une stèle rappelle cet événement)...Un groupe d’une soixantaine d’hommes rejoignit une autre compagnie du 1er R.I en Forêt de Meillant.


Le Commissaire général des Chantiers de Jeunesse, Général de La Porte du Theil, fut arrêté et déporté par les Allemands en janvier 1944 ; les Chantiers sont transformés en « Unités de Travailleurs », puis dissous à compter du 15 juin 1944. Après la Libération, la Croix, symbole du Groupement, à l'entrée du bourg de Tronçais, sera remplacée par la Croix de Lorraine.

La croix de Lorraine remplace l'ancienne croix

( D'après <Le Département de l'Allier sous l'Etat français> de G.Rougeron , <La Vie en Forêt de Tronçais (1940-1944)> de R.Chassaingt, et<Farac info numéro 371> de R.Mascaro)

Annexes

a/ Après l'installation des Chantiers, les enfants des communes de Saint Bonnet et de Braize, fréquentant le catéchisme, se virent proposer des activités de scoutisme, sous la responsabilité d'un cadre du Groupement Maréchal Pétain.
Deux <Patrouilles> virent le jour : celle des Cerfs (Cerf au plus...VITE !) et celle des Ecureuils (Ecureuil toujours le plus...AGILE !)

Cerfs rapides et écureuils agiles



Outre celui de nos cris de guerre, subsistent quelques souvenirs : la Bonne Action quotidienne (?), une nuit mouvementée sous la tente à Baignerault, la participation à un grand rassemblement au Château de la Pierre à Cérilly et surtout d'inoubliables jeux de piste en forêt.

b/ Un groupe nommé Groupe numéro 1, confusion volontaire avec le numéro du Groupement lui-même fut installé au Château de Saint Augustin, près du Veurdre ; il abritait des jeunes gens originaires d'Alsace-Lorraine qui n’avaient pas voulu rentrer dans leur province annexée par l’Allemagne où ils auraient été enrôlés de force dans la Werhmarcht...effectifs truqués, fausses identités, pas de limite de séjour... Il y eut de nombreuses frictions entre la Direction des Chantiers, l’Etat français (la Milice notamment) et l’occupant nazi. Un souvenir personnel : Un jour, nous fûmes prévenus, sans doute par un jeune des Chantiers travaillant au domaine voisin,  qu’un convoi allemand risquait de passer au Carrefour de Beauregard, en direction de Tronçais, pour un contrôle des effectifs…pas d’uniforme en vue, mais on n’a certainement guère quitté la ferme ce jour là !

c/ Des descendants de ces « Jeunes de France » ont fait le pèlerinage en Pays de Tronçais en quête de renseignements concernant la vie au Groupement Maréchal Pétain…et n’ont pas tous reçu un accueil chaleureux. « N’en parlez pas, c’étaient des voleurs, des bandits…la Fête nocturne du 15 août sur l’Etang de St Bonnet ? on ne sait pas »...et une grand-mère refusait également d’évoquer cette période quand elle passait à Tronçais avec son petit fils. Un jeune du Groupe Colbert, resté dans la région, regrettait aussi d’avoir été assimilé aux  "collaborateurs", miliciens ou légionnaires, et ce, notamment au G1 Maréchal Pétain, du fait même de cette appellation !

Les premiers incorporés arrivaient depuis la caserne d’infanterie de Montluçon jusqu’à la gare d’Urçay, puis terminaient le trajet à pied : 15km jusqu’à Tronçais ! Mal encadrés, mal logés, mal nourris, leur conduite laisse à désirer; effractions, larcins, plaintes diverses (même des chefs de gare)... « Les hordes du colonel Furioux arrivent ! titre même un journal local »

Nous sommes en août 1940, la situation est stabilisée dès septembre; je n’ai aucun mauvais souvenir de ces jeunes qu’on a vu travailler au village et auxquels une ancienne voisine préparait une soupe « parce qu’ils crevaient de faim ! ». Nous avons connu des mariages à Braize, à St Bonnet...il y reste certainement quelques petits enfants issus de ces familles honorablement connues.

Mais une certaine confusion peut aussi exister: Tronçais abrita alors les Chantiers de la Jeunesse, puis le Groupe Police du Maquis, puis le camp de prisonniers allemands…le second, peu connu, laisse le souvenir d’exactions notoires ! (voir le Blog de Baignereau « Tronçais…les années 1940 »


Jean-Jacques Martin