Y AVAIT-IL UN PARLER BRAIZOIS ?...
...Pas vraiment.
Notre parler souffrait sans doute surtout d';une certaine pauvreté du vocabulaire, bien compréhensible : On tire un fardeau, on tire de l'eau, on tire les vaches, on tire un trait sur le cahier, on tire même la Bonne Aventure... mais aussi de la crainte d'utiliser des mots sans rapport avec notre statut « Tu vas quand même pas causer comme les gens des villes ! »
On peut remarquer que notre langage se rapprochait plus du « Parler Biachet » de Désertines, décrit par René Chicoix que des « Parler Bourbonnais » édités en multiples déclinaisons.
Le Braizois était fâché avec certains sons (gr, br, fr, tr...) Gueurlicher (chatouiller), Enteurmi (au milieu), un Gueurlet (grillon), plus difficile R'feurduré (qui a pris froid), très joli Embeurner (gêner)...Pareil pour le (oi) une Ormouère (armoire), une Coulouère (passoire à lait), une Touchouère à bœufs (aiguillon)
Lier... une reliure...donne les Yures (osier)- un lien... liant...devient un Yan (lien de paille pour attacher une gerbe)...imaginez le « Jeu du téléphone arabe», à l'origine de ces déformations.
On inverse sans être dyslexique : Contuiner pour continuer.
Nous avions des synonymes gradués très précis:
Et puis, il y a toujours eu ce fameux Y qu'on nous reproche partout ! Entre :
---J'y avais bien dit...Je vous y avais bien dit.
---Je vais y aller...Je vais y penser.
...on ne sait plus quelles expressions sont correctes !... Pire « Y nous y avait dit »...cette fois, en plus, on a mangé le il (Il nous l'avait dit)
Une précision : à notre ferme de Beauregard, très peu de ces mots étaient utilisés. Les plus « érudits »en la matière étaient les Grands-parents Etienne et Annette Tripier, ainsi que le jumeau Pierre Tripier.
Voici donc une petite liste, par ordre alphabétique, de ces mots employés dans le contexte si possible...étant entendu que, bien souvent, leur traduction exacte est difficile, preuve de l'utilité de ces vocables !
Faire de l'abonde... « Mon plat de frites n'a pas fait beaucoup d'abonde »...mais se dit aussi de quelqu'un qui tient énormément de place, au sens figuré !
S'accoter...s'appuyer... « On s'est accotés après un arbre »...fermer à clef...un accotat, c'était une sorte de verrou.
Nos synonymes gradués : s'accroupir, se musser, s'acabzouner...imaginez celui qui est acabzouné dans son coin !
Atfier...acclimater... « On a réussi à atfier une nouvelle espèce de pêchers aux Alouettes »
« Aga don ce Parisien ! »...Regarde donc !
Agaler, de égaler...On agale, avec une fourche, la paille pour la litière... « J'vais bien y'agaler », disait aussi la cousine Francine en parlant de remettre de l'ordre dans sa volaille indisciplinée.
Ailland...c'est un gland.
Après...très employé : on est après travailler...en train de travailler...
Arcandier...vaurien.
Arche...la maie qui ne servait plus guère à pétrir, mais de coffre de rangement.
Balai...le genêt sauvage était utilisé pour confectionner des balais. L'oncle Auclair avait été « Chaveur » de balais (il défrichait).
Barriau...un petit portillon... Souvent ajouté devant la porte de la cuisine pour éviter l'intrusion des poules en été!
Bauge...un grand sac...A Beauregard, on mettait les poignées de haricots dans une vieille bauge afin de les battre au fléau.
à Bejiji...porter un enfant « à bejiji », c'était le porter sur le dos.
Beurdasser...secouer...La porte de la vieille maison a beurdassé toute la nuit, à cause du vent.
Beurjauder...remuer... « J'ai pas dormi : t'as beurjaudé toute la nuit dans ton lit ! »
Biber...gober...biber un œuf cru.
Bignon...beignet...La Grand'mère Louise confectionnait de délicieux bignons aux raisins secs...et on versait le reste de pâte dans la poêle pour faire la dernière bigne (plus grosse).
Beurdin...simple d'esprit (souvent péjoratif...se rappeler la « Colonie Familiale d'Ainay le Château)
Bigot...sorte de pioche pour arracher les « topines »...ou le croc pour extraire les bottes du pailler
Blette...une betterave...On râpait les blettes avant de les mettre au coupe-racines. (On enlevait la terre)
à Bouchon...On plaçait les bébés « à bouchon » quand ils avaient mal au ventre...à plat ventre.
Bouchures...On les râpait aussi pendant l'hiver (on les élaguait)...les haies.
Boulife...On avait des boulifes après s'être frotté aux orties, ou à la suite d'une brûlure...gros boutons.
Boule...bouleau...Le balai de boule était destiné au nettoyage des écuries.
Bounhoumme...tout le monde reconnaît encore le cultivateur !
Bourrasse...carré d'étoffe en laine, enroulé (serré !) par-dessus le drapeau de toile fine dont on langeait le nouveau-né...on bourrassait le bébé.
Bousson...paquet mal ficelé ?...un bousson de foin, un bousson de linge sale.
Beurgaud...c'est le frelon.
Breure...et ça, c'est la bruyère.
Buret : Notre voisin Louis, mémoire de cette décennie 1930-1940, est agacé cet été par les burets, plus nombreux que d'habitude...c'étaient les taons, ennemis jurés des attelages au temps des moissons, avec les « mouches belines » qui se collaient sur la peau, là où la queue ne pouvait pas fouetter !
La Brun-nuit : grand'mère Francine rentrait à la brun-nuit si elle avait trop bavardé avec sa voisine Louise...on dirait à la nuit noire, mais c'est moins imagé !
Cabas...destiné à la laveuse : elle s'agenouillait dans cette sorte de caisse en bois dont le fond était garni de paille pour le rendre moins dur.
Cabotte...On avait trouvé un essaim d'abeilles dans une cabotte de chêne têtard (un creux) au champ de la Petite Rouesse.
Cafeurgnon...pièce étroite et obscure (de capharnaüm ?)
Caillé...Ce qui restait du lait après plusieurs prélèvements de crème...notre « fromage de vache » était fabriqué avec ce lait caillé.
Carafé...la giroflée sauvage qui décorait le bas de nos vieux murs au printemps.
Carrée...charogne ... « Tu sens encore la carrée ! criait la mère Louise au vieux Miraut qui adorait se rouler sur la plote de fumier »
Casse...La terre glaise se mettait facilement en casses...en petites mottes.
Caton...c'est la même chose, mais avec de la farine délayée...grumeau
Chagnon...Papy a souvent mal au « chagnon du cou »...bas de la nuque.
Chanti... « Pleure tant que tu veux, tu te chantiras avant moi ! »...fatigué, lassé.
Chapuser...un ancien élève voulait que je chapuse son crayon de papier...se disait à propos d'un morceau de bois à dégrossir pour le rendre pointu.
Chaucher... « On a encore trop mangé, ça va nous chaucher sur l'estomac ! »...peser.
Chaud -r'feurdi : On est victime d'un Chaud-r'feurdi...quand on a pris froid.
Mettre ses Chausses, c'est mettre ses bas.
Chavan...chat-huant... (au féminin : une Cha-ouiche).
Chérant...L'épicier ambulant de Saint-Bonnet était le plus chérant, selon la grand'mère...il vendait cher !
Chien... « Y nous ont même pas offert un canon !...quels vieux chiens ! »...avare.
Cicle...la claie en bois destinée à sécher les fruits au four, après la cuisson du pain.
Cœur...le bigarreau
Coignier...un cognassier
Couère...le corbeau
Corde : Une corde de bois équivalait à un peu plus de trois stères.
Le Couet...c'était une corne de vache qu'on suspendait à la ceinture pour y placer la «Pierre aigusouère » destinée à aiguiser la Daille (la faux).
Une poule Couisse...c'est une poule couveuse.
Couleurer...colorier.
Courgnole...gorge...Il l'a attrapé par la courgnole !
Queurciller...ça, c'est craquer, mais en plus agaçant...les oreilles de la grand'mère Louise lui queurcillaient souvent...la neige queurcille sous les sabots.
Crochet...Les volailles étaient pesées au crochet.
Croisée...la fenêtre.
Cros : Mamie habite au Cros...le cros, c'était une mare, et à Braize, en hiver, les laveuses allaient au Cros-chaud qui ne gelait (presque) jamais.
Débeusiller...mettre en petits morceaux, détruire...Il a débeusillé deux pages de son livre !
Debiter...gaspiller, détruire...La grêle a debité toute la vendange !
Décesser...cesser...Il a pas décessé d'me casser les oreilles depuis qu'il est revenu !
Ebalui : On a déjà évoqué le caractère indispensable (enfin presque !) de ces vocables locaux ; par exemple, le vin rouge laissé dans la carafe ouverte depuis une semaine est ébalui : il a perdu sa couleur, son goût, son arôme ; allez donc trouver le synonyme de notre « ébalui » !
Il y a aussi la fillette ébeurvagée, sauvageonne peut-être, mais avec, en supplément, un petit grain de douce folie, quoique ce terme paraisse trop fort...
Ébeurvagé...étourdi, agité...même plus ! ...moins utilisée, cette expression de grand'mère Louise, à propos d'une personne un peu rustique, pas très maligne : « ...celle-là, elle est pas de la première écafigne !... »
...et puis, après l'installation de « Gens du voyage » près du Cros (les Roms expulsés à St Etienne ?) qui ont animé bruyamment la soirée, grand'mère aurait dit « Y z'ont fait du sombeurdondon toute la nuit ! »... autre synonyme du verbe crier : pousser des ébagiaulées, rien qu'en prononçant le mot, vos oreilles ressentent les aigus !
On levait des Éclats de bois avec la plane
l'Écoussat...c'est du houx.
Le coq S'éjonfe...la grand'mère aussi quand elle est en colère !
Embeurner, c'est embarrasser...devinez ce que pouvait être une Embeurnouère ?
Un Benot, c'était une ruche en osier que l'on imperméabilisait avec une couche de bouse de vache...l'Embouse-Benot était une personne à l'efficacité douteuse !
Emmainter...saisir fortement avec la main.
En-pour...En-pour les noix que vous m'avez données, je vous apporte quelques pommes...en échange.
Entrains... « J'voudrais pas vous faire d'entrains »...vous embarrasser.
Enteurmi...entre... « Y'aura bien un peu de place enteurmi les tas de seille (seigle) et d'orge. »
Épingles... « Vous me donnerez cent sous d'épingles en plus du prix convenu ! »...un petit supplément (hors notre village d'irréductibles, signifiait plutôt arrhes).
Éplir ...Les petits poulets (on ne disait guère poussins) vont bientôt éplir...éclore.
Évu...On n'a jamais évu un sou d'avance...eu.
Fasilloux...se disait de celui qui « savait tout faire ».
Feneau...on disait plutôt le Chafaud...le fenil.
Et la Bête Faramine...n'était peut-être qu'une variante de la Mère à Bras qui devait interdire l'approche du puits aux enfants!...et puis, à propos d'une personne qu'elle détestait particulièrement, grand'mère Louise s'exclamait : « Regarde ce vieux Faraumon ! »
Feugnant...fainéant
Feugner...renifler (péjoratif souvent)...On pourrait dire que Tanbelle feugne la trace du sanglier.
Forgner...quitter le nid...Un Forgnat, c'était l'oisillon qui venait juste d'apprendre à voler.
Fougaler...Tanbelle (encore elle) fougale les deux vieilles oies du Louis...poursuit.
Gente...une ben gente fille...jolie.
On Gourgeatait quand on était enroué...un Gouillat ou un petit trou d'eau...et le Goûter, c'était le repas de midi et non le quatre-heures !
Gueurlet...le grillon.
Gueurlicher...chatouiller.
Des Gueurlingeons, c'était des petits pompons.
Le cochon Grilait quand on l'Embouclait (mettre une boucle de ferraille dans le groin pour qu'il n'imite pas les sangliers en défonçant le pré)...un cri aigu...mais je grilais aussi pour avoir des bonbons !
On a Hardiment travaillé ce matin...beaucoup.
Jabler des noix, ou les faire tomber à l'aide d'une perche...et Jarjoter, c'était parler pour ne rien dire... « Vois-don ceux deux vieux Jarjots ! »
On m'a raconté à loisir le Conte de Moitié d'Jau...un jau, un coq.
Jurer...Y jure des vieux « Bondieux de bondieux » !
Lambouri...le nombril.
En été, on entendait chanter les Lupots...petit crapaud.
Loubâche : En ce mois de juillet 2010, on est dévorés par tout plein de bestioles malfaisantes : des nuées de moustiques, de moucherons, même des loubâches (des tiques) qui viennent parasiter les jambes de Mamie...voir la tique femelle gorgée de sang !...c'est à qui arborera les plus grosses boulifes (boutons violacés)
Margot...la pie.
Marie-vole...coccinelle... « Marie-vole, vole, vole ; prends ton sac, va-t-en à l'école ! »
Marpaud...maladroit, emprunté.
La rue des Mases à St Bonnet...une mase ou une fourmi.
Mêle...nèfle.
« C'est des Mentes que tu racontes ! S'exclamait la cousine Francine »...mensonge.
Une Mesure, c'était soit un double-décalitre (de grain...)...ou une superficie de 1000 m2.
Millat...clafoutis...mais on disait « Miat », qui faisait moins bourgeois !
On mettait ses Mites pour aller aux champs en hiver...mitaine (gant de laine sans doigts, avec uniquement un pouce).
En hiver, j'avais souvent des engelures aux Noinces...dessus des articulations entre la paume de la main et les doigts...en même temps, je m'Écourounnais les chevilles en les blessant avec mes sabots !
On laissait un Gniau (œuf en pierre) dans le nid pour inciter les poules à y déposer leurs œufs ?
Un Nourrain, c'était un porc mis à engraisser...et les Oueilles, les brebis.
Un Pessiau ou une rame destinée aux haricots, à la vigne...un Pau, c'était un pieu
Marcher dans la Patouille ou dans la boue.
Des Peilles ...des guenilles...et le Peillerot, le chiffonnier ambulant qui les ramassait ; il achetait aussi les peaux de lapins qu'on avait fait sécher sur une tige d'osier recourbée.
Un chien Peuilloux ...au long poil tout ébouriffé.
Plote : On montait le fumier à la brouette sur la P'lote...le tas.
Penilles...guenilles Le Perrier ou le gésier du poulet.
Mon Petit-Nom, c'était Jean Jacques (mon prénom !)
On coupait le petit bois sur un Plot...un billot.
Avec un Plumeau, on transportait la poussière de la cheminée sur le poêle !...aile de volaille utilisée pour épousseter.
On Tirait le vin au Poinçon...au tonneau.
Les Pois...aussi bien les haricots que les petits pois.
Faire Peurgnière...faire la sieste.
Au printemps, en même temps que le coucou, revenait la Pupu...la huppe.
On allait à la recherche des Queues-de-Poêle...des têtards.
Faire Rancure...dégoûter...On a tellement mangé de petits pois depuis le printemps qu'Y m'font rancure !
Une Ranche de foin...une rangée formée par la râteleuse.
Avoir la Rauche...être enroué.
Ravasser...aller de ci, de là...s'occuper de tout et de rien... « Dame, j'aurais ben eu besoin d'une femme pour s'occuper de la Ravasserie à la ferme, nous confiait un voisin ! »
Se Rebouler...être renfrogné.
Regouti...ridé...des prunes toutes regouties.
« Faut que je r'monte la R'loge...l'horloge .
Renserrer...C'est temps de renserrer les oies...de les rentrer.
Rôche...sorte de roseau...on l'utilisait pour rempailler les chaises.
Les vaches sont en train de Roinger...de ruminer.
Une Rouette...un petit sentier...J'avais peur d'emprunter, à la tombée de la nuit, le Rouetton qui conduisait au hangar à bois...aussi « la rouette » du lit.
Rouger ses ongles...sucer.
On avait peur du Roulant...mendiant qui passait régulièrement à la ferme pour y être hébergé une nuit.
Le jars Silait...siffler méchamment
Souriller...prêter l'oreille.
Un fruit tombé de l'arbre était Talé...abîmé.
Etre Tason...mou, lent.
On Tirait les vaches...traire Mais la Mère Boudignon allait « Sigoter » sa vieille Charolaise qui ne donnait qu'un filet de lait (une Sigote était un maigre ruisselet).
Une Touchouère à bœufs...un aiguillon
On prenait un Trempé à quatre-heures...pain, vin, sucre...
Un fruit Vèré...véreux
Ramasser la javelle au Volant...à la faucille.
Enfin, pour finir, empruntons une expression inédite aux deux jumeaux Tripier dont les aïeux étaient originaires du Berry profond.
Si on leur avait demandé des souvenirs de leur jeunesse, ils vous auraient répondu en se grattant le crâne: « ça m'est ben magine qu'on n'allait pas souvent à l'école... »...traduisez : il me semble qu'on ne fréquentait guère l'école...